- TIBULLE
- TIBULLEAvec Properce et, une génération après lui, Ovide, Tibulle est le représentant du genre élégiaque à Rome. Il semble même qu’il ait été l’initiateur de l’élégie amoureuse de langue latine et ait montré la voie aux deux autres. Il appartient à une époque où la sensibilité romaine, après une longue période de guerres civiles, découvre les bienfaits de la paix. Tibulle est contemporain de Virgile, avec lequel il a des affinités poétiques. Comme Virgile, il aime la campagne, la vie champêtre, il est sensible à la poésie de la religion rustique. Mais il est, ce que Virgile n’est guère, un poète de l’amour, un poète amoureux, qui exprime ses propres sentiments à l’égard de trois êtres: Delia, qui fut son premier amour, Nemesis, qui la remplaça, et un jeune garçon, appelé Marathus.Faits et hypothèsesOn ne possède guère de renseignements sur la vie de Tibulle, et il faut reconstituer sa biographie d’une manière hypothétique. Aulus Albius Tibullus appartenait à une famille riche, mais qui fut ruinée, sans doute au cours des guerres civiles. On ne sait rien de son père. Tibulle ne parle que de sa mère et de sa sœur, auprès desquelles il semble avoir passé sa jeunesse en Latium, dans le petit bourg de Pedum (entre l’actuel Tivoli et Palestrina). En 32 avant J.-C., Tibulle, parvenu à l’âge d’homme, doit s’arracher à sa vie de loisir et est attaché à la cohors praetoria , l’état-major de Valerius Messalla, alors consul désigné et sur le point de partir en Orient, pour participer à la guerre contre Antoine et Cléopâtre. Dans un poème (Élégies , I, 10), il dit son inquiétude et son horreur de la guerre. Sur ces entrefaites, Tibulle, à Rome, fait connaissance d’une jeune femme, qu’il appelle Delia, et qui s’appelait, croit-on, Plania. Elle vivait librement, et choisissait des «protecteurs» successifs. Tibulle l’aima tout de suite profondément, pensant à l’épouser. Mais le moment de partir pour l’Orient approche. Tibulle s’y résigne. Il va, avec Messalla, jusqu’à Corcyre, où il tombe assez gravement malade pour qu’on le laisse dans l’île. Remis, tant bien que mal, il revient à Rome; il y trouve déception et chagrin. Delia ne lui ouvre plus sa porte !En 28 avant J.-C., Messalla, de retour d’Orient, est chargé d’un commandement en Gaule. Le poète, revenu de sa passion, l’accompagne et participe au rétablissement de l’ordre, troublé par un soulèvement en Aquitaine. Il était à Rome pour le triomphe de Messalla, le 25 septembre 27. Désormais, il vécut à la campagne et se consacra à la poésie. Il faut sans doute l’identifier au jeune Albius, auquel Horace dédia deux poèmes où nous le voyons mélancolique, toujours hanté par quelque amour malheureux et de santé incertaine.Tibulle mourut à peu près en même temps que Virgile, Ovide assistait à ses funérailles où, dit-il, se trouvaient également Delia et Nemesis.Poète d’amourOn possède trois livres de poèmes élégiaques signés du nom de Tibulle. Le premier seul a été publié du vivant de l’auteur. Le deuxième rassemble des pièces authentiques, probablement éditées après sa mort. Le troisième réunit des poèmes écrits par divers amateurs, un certain Lygdamus (le nom n’est qu’un pseudonyme), une jeune femme noble, Sulpicia, qui chante son amour pour un jeune affranchi (peut-être un esclave) appelé Cerinthus; enfin, le troisième livre contient un Panégyrique de Messalla , poème en l’honneur de celui qui fut le protecteur de Tibulle et qui groupait autour de lui tout un cercle littéraire. Dans ce même livre III se trouvent aussi des pièces authentiques de Tibulle, où il est question des amours de Sulpicia. On ne sait pas de quelle façon ni à quelle date a été constitué ce recueil composite, connu sous la dénomination de Corpus tibullianum .L’œuvre de Tibulle peut être analysée par «thèmes»: celui de la vie rustique (I, 10; I, 1; I, 4; II, 1, etc.), lié à celui de la paix et à celui de la religion simple des paysans. Ce sont les «thèmes heureux». À côté de ceux-ci, on trouve des thèmes «malheureux»: la trahison et, surtout, les refus de l’être aimé (I, 2; I, 4; I, 5; II, 4, etc.), la mort (I, 3). Tibulle connaît bien la poésie grecque, et en particulier la poésie alexandrine, qui a remis à la mode l’œuvre d’Hésiode; il emprunte assez largement à celui-ci des éléments de développement et des images. Il partage avec l’auteur des Travaux et les jours le sentiment très fort de la nature féconde et des rythmes de la terre. Cette influence d’Hésiode, qui s’est aussi exercée sur Virgile, contribue à accentuer les ressemblances entre les deux poètes, car il ne saurait s’agir d’emprunts faits par Tibulle à Virgile, puisque les Géorgiques n’ont été publiées qu’après que Tibulle eut déjà écrit ses premières élégies. À l’influence alexandrine, Tibulle doit le cadre de pièces traditionnelles comme son paraklausithyron (chant de l’amoureux devant une porte fermée, celle de son amie qui ne peut ou ne veut le recevoir; II, 2). On y trouve aussi des éléments empruntés à la comédie nouvelle et à l’épigramme, notamment des images comme celle de la jeune femme filant la laine à la veillée, ou celle de la vieille mère qui tantôt surveille sa fille et tantôt s’entremet pour favoriser ses amours. Tibulle n’a pas voulu écrire le journal de son amour, mais il a isolé les principaux moments de ses amours et a composé des pièces qui l’expriment et le résument dans sa réalité profonde. Ce refus de l’anecdote est un trait de classicisme chez Tibulle. Même la douleur de l’amant repoussé prend ainsi comme un caractère impersonnel et peut sembler irréelle, surtout si on lit Tibulle après avoir lu Properce.Le recueil des Élégies (Elegiarum libri ) comprend, outre les pièces amoureuses, des poèmes où l’auteur engage moins sa propre personnalité et ses sentiments intimes. Par exemple, une élégie curieuse, consacrée à chanter l’anniversaire de Messalla (I, 7), qui est d’un lyrisme impersonnel et contient une évocation très précise de l’Égypte, avec ses cultes traditionnels, tels qu’un Romain pouvait les voir deux ou trois ans après que ce pays eut été conquis par Auguste. Ou encore la première élégie du livre II, qui fait un ensemble avec la pièce précédente, décrit les fêtes rustiques de la campagne romaine, sans doute les Ambarvalia , régulièrement célébrées au mois d’avril. Les tableaux pittoresques (sacrifices à l’autel, grands feux allumés dans l’âtre, les couronnes de fleurs offertes aux dieux lares), chacun conçu comme un relief, annoncent l’art des Fastes d’Ovide. On y trouve aussi des pièces de circonstance, un compliment à un ami, Cornutus, pour l’anniversaire de sa naissance, l’inauguration du temple d’Apollon Palatin (II, 5), qui donne lieu au rappel de la légende troyenne des origines de Rome – que, précisément, Virgile était en train de chanter dans l’Énéide . Mais cette apparente diversité d’inspiration est contredite par le retour du thème de l’amour, qui s’introduit, avec plus ou moins d’à-propos, dans ces poèmes. Ainsi, le poète rappellera avec complaisance qu’Énée est fils de Vénus, donc frère de l’Amour. À propos des fêtes rustiques, comme les Parilies, où les bergers dansaient et sautaient par-dessus des feux de joie, Tibulle se plaît à décrire les scènes amoureuses qui s’ensuivront, une fois que l’on aura vidé force coupes de vin.Cette hantise de l’amour empêche Tibulle de participer aux grands courants de pensée de ce siècle, où naît l’Empire. Mais il nous conserve l’image de la vie quotidienne et familière dont Tibulle ressent profondément le charme mais aussi la fragilité.Tibulle(en lat. Albius Tibullus) (v. 50 - 19 ou 18 av. J.-C.) poète latin, ami d'Horace et de Virgile. Il a laissé des élégies pleines de délicatesse.
Encyclopédie Universelle. 2012.